Réflexion sur le naturel III

Troisième partie (suite et fin)


Suite de l’article précédent

C’est le même principe qu’utilise l’art du cinéma ou l’art du théâtre. Nous savons bien que ce sont des acteurs qui jouent un rôle mais si le spectacle est bon, on ne peut pas s’empêcher de rire ou de pleurer. Si le spectacle est bon, il nous invite à rentrer en lui pour nous faire vivre des émotions extrêmes en laissant de côté notre esprit rationnel, le temps du film ou de la pièce.

« Dans l’art visuel, le moment esthétique est cet instant fugace, si court qu’il est presque en dehors du temps, où le spectateur ne fait qu’un avec l’oeuvre d’art ou avec l’actualité de toute nature que le spectateur lui-même voit sous les espèces de la forme et de la couleur. » [Berenson]

Malgré le fait que nous savons pertinemment bien que ce sont des acteurs qui jouent un rôle et que tout cela est fiction, si nous acceptons l’invitation du réalisateur à rentrer dans son film, toutes les émotions seront permises. C’est vers cette direction que nous devons diriger nos intentions magiques. Leur faire découvrir une autre réalité, c’est inviter nos spectateurs à être complétement absorbés par le présent en rentrant dans notre spectacle. Si vous observez un chat, il possède naturellement cette potentialité à jouer avec son imagination à tel point qu’une petite balle devient pour lui une source de jeu incroyable (je me suis souvent demandé ce que représentait cette balle dans son esprit ?). Notre intention magique doit être aussi pure que celle-là, faire en sorte que nos spectateurs vivent dans le présent (celui du spectacle) pour oublier leurs tracas et leurs soucis de la vie quotidienne. Et la véritable magie, n’est-elle pas celle là ?

Les rituels
« Rappeler à l’homme ce qu’il est, lui donner un thème de méditation, provoquer en lui un choc qui le sorte de sa frénésie d’inauthenticité, tel est le but de mon oeuvre... » [Antonio Tapies]

De tout temps il y a eu des rituels pour permettre aux spectateurs de rentrer plus facilement dans une autre réalité. Il y a le "Il était une fois" qui invite le spectateur à se préparer à rentrer dans le conte, il y a "les trois coups" au théâtre qui préparent le spectateur à rentrer dans la pièce, il y a "le noir" au cinéma qui nous prépare à rentrer dans le film, etc. Mais dans la magie, quel est le rituel que nos ancêtres nous ont légué ? Sont-ce les "abracadabra" ? Les "hocus-pocus" ? Les baguettes magiques ? N’y avait-il pas une séquence (toujours la même) qui facilitait l’introduction au monde de la magie et que nos ancêtres faisaient, et que nous avons perdu au cours du temps ? Aujourd’hui tout cela paraît désuet, dépassé, mais n’est-il pas intéressant de se poser la question ?

Alain Beltzung nous dit : « ...que l’harmonie, quel que soit son type, va toujours dans le sens de l’unification, de la simplification, elle réalise dans un spectacle la fusion des éléments qui le composent de telle sorte que le spectateur n’ait plus la sensation de morceaux disparates ni même séparés... ; en fait le magicien est surtout un harmonisateur... Le travail du magicien est un travail d’architecte de l’invisible. C’est un art, l’art de la magie. L’acte magique est une création. A partir d’éléments puisés dans la nature, quelque chose est produit qui n’existait pas, une réalité seconde, surnaturelle. »

Bref, le grand art est celui qui paraît simple, direct mais avec cette grande nuance qui dit que la simplicité ne veut pas dire la facilité ! Et qui plus est, permet des lectures et des compréhensions différentes suivant celui qui regarde le spectacle et le moment où il le regarde.

« Un tableau vit sa vie comme un être vivant, subit les changements que la vie quotidienne nous impose. Cela est naturel,puisqu’un tableau ne vit que par celui qui le regarde. » [Picasso]

Si à la fin d’un spectacle, le spectateur a été touché, ému, il rentre chez lui avec une partie de ce que l’artiste lui a offert. Cette partie fait que cette personne n’est plus tout à fait la même. Au contact de l’artiste, elle a changé. Pour qu’un artiste puisse toucher un spectateur, il faut nécessairement que celui-ci soit près de lui. Il doit faire naître l’émotion de la proximité (même si il est à des dizaines de mètres du spectateur). Le toucher en plein coeur et en pleine âme, n’est pas une chose facile à faire mais si dans la construction de toutes nos routines, nous avons cette image en nous, je pense qu’elle nous aidera à nous rapprocher de cette réalité. Et cette réalité ne commence-t-elle pas par une pensée ?

« Là où va la main, là vont les yeux. Là où vont les yeux, va la pensée...  » [Natashastra (VIIIè siècle)]

 
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