Jeux de main



C’est Jean Cocteau qui évoquait les illusionnistes par l’image poétique des “hommes aux mille mains”.

Les mains, que chanta Gilbert Bécaud avec succès à ses débuts, ont une puissante force symbolique. Celle de droite (qui bénit ou affirme le pouvoir royal) représente l’action, celle de gauche inspire la sagesse. Le roi celtique Buada, amputé du bras droit, dut interrompre son règne.

Rassurons d’emblée le lecteur. Nous nous garderons de l’entraîner dans une austère étude ésotérique de la main, ce qui serait d’ailleurs bien au-dessus de nos compétences. Mais il est, par exemple, intéressant de découvrir dans le bouddhisme que la main fermée est le symbole de la dissimulation du “secret”.

L’imposition des mains (qu’on retrouve dans certaines “passes” d’illusionnistes) signifie un transfert d’énergie.

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Insigne du GRMT

Adolescent, le signataire de ces lignes, à ses débuts, reçut avec fierté (par la poste) l’insigne du Groupe Régional des Magiciens de Touraine, qui représentait une main ouverte entre les doigts de laquelle se trouvaient quatre boules excelsior dont chacune portait une lettre du sigle “G.R.M.T.”. Dans le bulletin de cette amicale, le Chevalier X (G. Martin directeur d’un musée à Alger et illusionniste amateur) révélait qu’il y avait une similitude avec la “main de Fathima”, symbole contre le mauvais sort et insigne de la foi musulmane.

Chez les sourds-muets, les mains deviennent langage, en remplaçant l’ouïe et la parole, comme moyen de communication. A ce sujet, j’ignore où est l’antériorité entre le langage par gestes des handicapés et celui des télépathes de spectacles. Il semble y avoir une similitude de moyens, sauf que le second cherche à être discret et indéchiffrable par le profane.

Le langage des mains, qui exista de tous temps et sur toute la surface du globe, fait encore partie de notre quotidien : la poignée de mains, le salut, le pouce en l’air, l’index et le majeur exprimant la coupure, les mains en l’air devant une arme, la prière, le doigt sur les lèvres intimant le silence, etc.

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Chung Ling Soo

Les “manipulateurs”, très en vogue au music-hall durant la première partie du XX° siècle, faisaient la conquête du public par la souplesse de leurs doigts, la poésie de leur gestuelle et l’illusion qu’ils arrivaient à créer uniquement par l’agilité de leurs mains. Le grand magicien américain Chung Ling Soo présentait ses doigts comme ses dix partenaires sur ses affiches illustrées géantes. Chez certains champions de la pure adresse, la création du merveilleux confinait au miracle. Aux U.S.A., Nelson Down faisait surgir et disparaître des fortunes en pièces d’or. Le danois Clément de Lion agissait de même avec des billes d’ivoire, opérant sans accessoires truqués, véritable démiurge créant de ses mains un univers de planètes sphériques et parfaites.

D’autres firent apparaître des soieries chatoyantes, des cartes à jouer, dans une chorégraphie manuelle épousant un accompagnement musical. Ce style très dépouillé d’expression artistique s’est raréfié dans le monde du spectacle avec les attractions visuelles qui constituaient les défuntes “premières parties”.

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Chassino

Pour les ombromanes pratiquant les “ombres à la main” qui firent la célébrité de Trewey, la dextérité constituait l’essentiel de la technique. L’artiste y caricaturait un homme ou un animal, uniquement par l’ombre de ses mains sur un rayon de lumière, et lui donnait l’illusion de la vie par le mouvement. Il y avait là une fugace et parfaite création qui s’effaçait aussitôt dans les applaudissements du public, petit moment de rêve absolu. Quelques très rares artistes cultivent encore cette technique de nos jours, dérisoire expression humaine face au déferlement d’images de synthèse.

On connut également quelques marionnettistes utilisant leurs mains nues pour donner l’illusion de la vie.

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Frédéric O’Brady

Frédéric O’Brady jouait “La belle et la bête” ou un duo amoureux sur une musique de Ravel, avec ses dix doigts et des billes de bois au bout de ses index.

Dans sa poétique démence, Gérard de Nerval avait écrit “La main enchantée” qui servit de trame au film de Maurice Tourneur “La main du diable”. Au cours de ce scénario tragique, tous ceux qui achetaient cette douteuse relique connaissaient gloire et fortune mais perdaient leur propre main. Dans le film “La Morsure” de Tod Browning (1927), c’est une main coupée vivante qui contrôle les billets des spectateurs à l’entrée d’une baraque foraine d’entresorts magiques. Le célèbre illusionniste Bénévol devina l’impact qu’aurait sur le public une main qui répondait aux questions en frappant la plaque de verre sur laquelle elle était posée.

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Benevol et sa main
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Carrington

Carrington reprit, par la suite, ce numéro qui impressionnait les foules. De nos jours certains illusionnistes américains ont basé leur numéro sur la présentation d’une main coupée donnant l’impression d’être vivante ; le délirant Steve Sheraton, Kewin James, Rudy Coby et enfin Christopher Hart qui, outre celle qui constitue l’essentiel de son numéro, anime “la chose” (main vivante) de la série télévisée “La famille Addams”.

Le curieux magicien espagnol Chan Tata Chan s’est attribué une troisième main pour mieux captiver son public.

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François Normag

François Normag est très fier, à juste titre, de ses quatre mains, grâce à l’illusion desquelles il présente des manipulations entièrement inédites, faisant surgir des flammes et des colombes, rappelant les divinités hindoues et leurs membres multiples.

La“ main volante” de Carter fut évoquée en vedette sur les affiches de cet artiste. La main “Kellar”, par contre, sut demeurer anonyme et secrète au fil des années, restant de nos jours le moteur ignoré de grands effets magiques.

Rappelons enfin que la nouvelle technique, utilisée par nos actuels mentalistes, “le cold reading” (qui, avec le “pumping”, sont utilisés depuis toujours par les voyants et marabouts) trouve une grande partie de ses révélations dans l’observation des mains des spectateurs, véritables mines de renseignements.

 
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