Jacques Tandeau

1933 - 2013


JacquesEnFlagrantDelitC’est avec une immense tristesse qu’une quarantaine de vieux et vrais amis de Jacques se sont retrouvés au cimetière de Thiais ce 30 septembre dernier. Le vide qu’il laisse derrière lui n’est pas près d’être comblé.

Les quelques dix années que nous avons passé à travailler ensemble derrière le comptoir de l’Académie de magie, nous ont permis de nous rapprocher, de nous connaitre et de nous apprécier.

Notre premier véritable échange eut lieu au début des années 80, aux Galeries Lafayette ou au Printemps, je ne sais plus, ou nous nous étions rencontrés devant le stand d’Henri Mayol qui vendait des tours de magie pour les fêtes de Noël. Nous ne nous connaissions que de vue, pour nous être croisés quelquefois aux conférences organisées par l’AFAP. Ce jour-là, devant le stand d’Henri, nous avons commencé à échanger quelques mots et à blaguer.

Car Jacques aimait la magie, les plaisirs de la table et la blague. Ne nous resterait-il qu’une seule chose de lui, ce serait son humour. Son humour et sa générosité, sans doute. Nous avons continué à nous croiser parfois jusqu’à ce que Georges Proust me propose de travailler avec lui au musée et au magasin. C’est donc rue Saint-Paul que le rapprochement se fit, pour le meilleur et pour le rire, jamais pour le pire. Une dizaine d’années sans dispute, ce qui est assez rare quand on travaille ensemble…

Jacques n’avait pas cet ego démesuré que l’on rencontre trop souvent dans nos milieux magiques où on se vante bien des fois de ses exploits (réels ou imaginaires). Jamais Jacques ne mettait en avant tout ce qu’il avait fait pour l’art magique. On sait par exemple qu’il était à l’origine de la venue en France et de l’organisation de tournée de conférence de Slydini et Dai Vernon.

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Dai Vernon, Philippe Fialho et Jacques Tandeau

Jamais je ne l’ai entendu s’en vanter et il fallait se lever de bonne heure pour lui arracher quelques confidences. Il préférait se souvenir des bons repas qu’il avait pu faire à ces occasions. C’est vrai que la cuisine nous rapprochait et nos escapades magiques vers le Diavol nous permettaient chaque année de faire une petite étude gastronomique des spécialités lyonnaises…

L’humour de Jacques ! Nous cultivions l’un et l’autre, le même amour du jeu de mots, du calembour, de l’à-peu-près et du 38e degré…. C’est ainsi que naquirent quelques perles, à l’ombre propice de l’Académie de Magie (la place me manque pour en citer quelques-unes). Parfois, notre humour était plus féroce et s’exerçait gentiment aux dépens de quelque client pittoresque.

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Jacques au Congres de St Vincent 2012

Puis Jacques pris sa retraite. Nous nous téléphonions et dinions ensemble très régulièrement. Ces dernières années, je voyais le phénomène du vieillissement à l’œuvre. Puis les diverses pathologie dues à l’âge commencèrent à s’installer, d’abord bénignes, puis plus graves. Arrivèrent les deux dernières années et l’inquiétude pour tous ceux qui entouraient Jacques. Nous avons vu Jacques lutter courageusement. L’avant-dernière fois que nous avons diné ensemble, il me lâcha une phrase terrible qui me glaça ; Jacques me dit en se levant de table : « Le début n’a pas été facile, mais je ne savais pas que la fin serait si pénible ». On aurait dit qu’il avait compris que le bout de la route était proche.

Le 2 août dernier, nous nous sommes retrouvés à quatre dans un couscous du côté de la porte Saint-Martin. Nous sentions qu’il n’allait pas bien. Il parla peu et toucha à peine à son assiette. Nous avons abrégé la soirée et je l’incitai à prendre un taxi mais il refusa avec obstination et voulut rentrer à pied. Je ne savais pas que c’était la dernière fois que je le verrai. La dernière image que j’ai de lui, c’est celle d’une petite silhouette chancelante s’enfonçant dans la nuit du boulevard de Strasbourg…

Je ne souhaite pas rester sur cette image triste et on me permettra d’évoquer ici Alphonse Allais qui a écrit quelque part : «  la blague est la seule arme à employer contre la solennité des imbéciles  ». Je retrouve là mon Jacques tout entier, qui avait une sainte horreur de la gravité et de l’autorité sous toute ses formes : il haïssait l’administration, les corps constitués, la police, les percepteurs et tous ceux qui se prennent au sérieux. Ils encouraient, ceux-là, les foudres du maître, foudres bien inoffensives puisqu’ils s’exposaient généralement à des blagues pendables. Je me souviens d’un camarade magicien qui avait une fâcheuse tendance à prendre la grosse tête et qui en fit les frais…

Oui, Jacques considérait la blague comme un des beaux-arts, et depuis le 29 août, pour la première fois, depuis près de trente ans, il ne me fait pas rire.

Je crois qu’aujourd’hui, le plus bel hommage qu’on puisse lui rendre, c’est de se souvenir de ces moments d’intenses rigolades que nous avons partagé.

Sylvain Solustri
 
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