Maurice Saltano
Les Frères Isola


Membres d'une famille de sept enfants, ils naquirent à Blida (Algérie), Emile en 1860 et Vincent en 1862. Ils ne se quittèrent jamais jusqu'à leur décès. Emile partit le premier en 1945 et Vincent le suivit en 1947 avec le même écart qui avait séparé la date de leur arrivée en ce monde.

Enfants, ils s'étaient émerveillés devant les prodiges des magiciens de l'époque qui effectuaient des tounées en Afrique du Nord (ces légendaires faiseurs de miracles,oubliés aujourd'hui, avaient pour noms: Bosco, Cazeneuve, Nicolet). Les deux frères avaient réussi à déceler les secrets de certains numéros et se produisirent sur scène pour faire leurs premières armes. Ils épargnèrent un peu d'argent pour venir à Paris où ils louèrent successivement, sans connaître le succès, plusieurs salles pour s'y produire.

Après un engagement aux Folies-Bergères avec leur numéro de transmission de pensée, ils fondèrent le théâtre Isola (1892), Boulevard des Capucines, dans l'ancien musée de cire de Talrich. Les débuts furent modestes, mais au bout de quelque temps le tout Paris se pressait à leur spectacle. Ils renouvelèrent leur programme à chaque saison, s'adjoignant d'excellents partenaires. On y applaudissait : la cabine spirite, la disparition sur la chaise, la malle des Indes, la lévitation, des automates, les suggestions musicales, ... Ils connurent un gros succès avec "Océan de Lumières", un numéro où Emile, au milieu du public, devinait les numéros de téléphone des spectateurs, le numéro de page, la colonne, la ligne de leur inscription dans le bottin, ...

Les frères Isola furent également des pionniers du cinématographe puisqu'ils créèrent, comme le fit Méliès, à la fin du siècle dernier, leur propre appareil de projection sous le nom d'Isolatographe.

Ils crurent pouvoir abandonner la magie en 1897 pour se consacrer à la direction des plus grandes salles de spectacles de la capitale (parfois simultanément) : Parisiana, l'Olympia, Les Folies-Bergère, La Gaité Lyrique, le théâtre Sarah-Bernard, Mogador, l'Opéra Comique, etc. Grâce à l'incendie du Trianon Concert où ils se produisaient, les Isola purent récupérer Frégoli durant sept mois à l'Olympia qu'ils dirigeaient à cette époque.
On leur doit, la création de célèbres opérettes : "No no Nanette", "Rose-Marie", "L'Auberge du cheval Blanc", ...
Ils achetèrent les "Folies-Bergère" à Madame Marchand pour la somme de sept cent mille francs, ce qui était considérable pour l'époque. Ils y produisirent "La Loïe Fuller"et ses fameuses danses serpentines, Cléo de Mérode qui venait de l'Opéra, La Belle Otéro, ... Les Isola créèrent la première "revue" des Folies-Bergère avec, entre de somptueux tableaux, de sensationnelles attractions comme le saut périlleux en automobile conduite par une femme (Mauricia de Thiers).

Leurs connaissances en gestion étaient bien piètres ce qui permit à un de leurs caissiers de détourner plus d'un million de francs de l'époque sans que cela attire leur attention. Cette forme d'insouciance par rapport à l'argent explique peut-être les revers de fortune qu'ils connurent en 1936 (ils avaient 74 et 76 ans). Ils furent contraints de reprendre la baguette magique et les spectacles de leur jeunesse. Malgré les difficultés financières qu'ils connaissaient, ils n'avaient rien perdu de leur superbe en scène. Les critiques de l'époque s'accordent à constater que leur présentation avait un côté 'rétro' car le style avait évolué, mais le public venait les voir avec curiosité et leur offrait un succès d'estime.

Sacha Guitry ne pouvait supporter la détresse qu'éprouvent ces grands hommes de théâtre qui avaient tant donné, du temps de leur splendeur, à l'Assistance publique (36 millions de l'époque). Il monta à leur profit un grand gala à l'ABC le 8 octobre 1936 avec le concours de Maurice Chevalier (qui en plus de ses chansons présenta de la jonglerie), Michel Simon, Pauline Carton, Gaby Morlay Arletty, Jacqueline Delubac Tristan Bernard, Max Dearly, Jean Weber, Damia, Frehel, Saint-Granier, Marguerite Moreno, etc. (la plupart présentèrent un tour de magie).

Les productions Charles Baret organisèrent une tournée pour leur spectacle dans les meilleurs théâtres de France. La première partie débutait par la cabine spirite suivie de quelques grandes illusions et se terminait par des démonstrations de dextérité et manipulation (où ils se montraient encore très adroits malgré leur âge). En seconde partie, ils présentaient leurs démonstrations de télépathie. Leur partenaire Maud Gipsy interprétait au piano les morceaux de musique pensés par les spectateurs. Il en était de même pour les chansons dont elle imitait physiquement et vocalement les interprètes habituels. La troisième partie comportait des découpages de papier, et se terminait par des ombres à la main (dont une merveilleuse évocation du "Mickey Mouse" de Walt Disney).

Sous l'occupation les frères inséparables reprirent la direction du théâtre Pigalle. Lorsqu'Emile décéda après la libération, Vincent, l'aristocrate au monocle, se trouva complètement désemparé comme s'il avait perdu une partie de lui-même. La presse souligna, lors des obsèques de Vincent, l'absence presque totale d'artistes. Il y avait un illusionniste, Guillaume Clément.


De Maurice SALTANO
Affiche Theatre Isola
Le Paravent Infernal
Affiche L'Isolisme
Les Freres Isola