David Copperfield: Tout d'abord, je pense que si nous
sommes tous réunis ici ce soir, c'est que nous sommes tous
animés d'une même passion et soucieux du respect
dû à notre art. Ce qui se passe à Blois, au
Musée d'Orsay et, ici, au Musée de la Curiosité
et de la Magie, est très important pour la magie. Et vous
pouvez être fiers que cela arrive dans votre pays. C'est pour
cela que je suis parmi vous ce soir et que je suis très fier
de vous (applaudissements).
Question: Comment êtes vous devenu magicien
professionnel et comment avez vous obtenu votre premier
contrat?
J'ai su très jeune que j'aimais la magie . Que vous soyez un
musicien, un comédien ou un joueur de football, vous
êtes en fait à la recherche que quelque chose qui vous
rend différent et c'est le cas de la magie. Avant d'être
magicien, j'ai commencé par la ventriloquie en voyant un
ventriloque qui passait régulièrement dans une
émission de télévision. En classe, je me donnais
en spectacle et tous mes camarades m'applaudissaient. Je me suis
alors dit que j'en ferai mon métier. Que vous soyez un artiste
de scène ou de close-up, vous connaissez tous le sentiment
ressenti lorsque vous donnez aux gens un peu de
d'émerveillement. Lorsque j'ai réalisé mon
projet magique pour des instituts médicaux, regarder la
tête des gens pendant les tours était une chose
étonnante. Vous êtes les seuls à pouvoir
comprendre de quoi je parle. C'est comme une drogue. En ce qui
concerne mon premier contrat , il faut savoir qu'en Amérique,
la première chose faite par les gens qui connaissent 3 ou 4
trucs est de faire imprimer des cartes de visite. Sur ma
première carte de visite figurait "Davino, le petit
garçon magicien". Je faisais mon numéro pour 5 dollars.
Pour les anniversaires, j'exécutais, entre autres, une routine
de fleurs en musique - très viril! (rires) - et le
tour des ampoules électriques dans la bouche.
Quelle est votre philosophie de la magie?
Dans la même lignée que le thème du respect, ma
philosophie s'est développée au cours des
années. Je considère la magie est une forme d'art aussi
bonne que les autres. La danse flatte l'oeil, la musique charme
l'oreille; la magie, elle, enchante l'esprit et c'est notre
tâche de préserver son développement pour
atteindre une sorte de respect. La magie peut émouvoir les
gens, les toucher ou encore les faire rire. Ma philosophie de la
magie est tout d'abord d'étonner. Mais si on s'arrêtait
là, ce serait comme entendre juste quelques notes d'un morceau
de musique ou comme le cinéma à ses débuts. La
magie doit intégrer d'autres formes d'art comme l'a fait le
cinéma. Ma philosophie de la magie est également que
rien n'est impossible, qu'il n'y a pas de limites et que l'on peut
toujours aller plus loin. Robert Houdin l'a démontré
à son époque. Avant ma mort, un de mes buts est de
donner à la magie ses lettres de noblesse. Et c'est en train
de se produire ici, au Musée d'Orsay. C'est étonnant!
Ca ne se produit pas aux états Unis. Je vais exporter
l'idée en Amérique (rires).
Vous avez introduit depuis quelques années des tours
de close-up dans vos spectacles de scène. Comment avez vous,
au moyen de la vidéo et d'autres méthodes,
surmonté cette contradiction apparente?
Doug Henning faisait du close-up sur scène, notamment le
papier déchiré raccommodé retransmis sur un
grand écran. J'ai tellement aimé cette idée que
j'ai acheté cet écran à Doug ainsi que le droit
de l'utiliser. Je pense que le close-up est un média
très spécial et j'en fais de plus en plus dans mes
shows. Je viens juste d'ajouter un nouveau tour de close-up dans mon
spectacle: la routine des bagues enclavées de Himber que j'ai
améliorée. J'ai l'habitude de développer ma
magie en fonction des réactions du public que j'écoute
avec attention. Cela fait 2 ans que je travaille sur cette routine
car je voulais m'inspirer de ce que faisait Richard Ross dans sa
routine de 3 anneaux. C'était pour moi, et malgré tout
le respect que je dois à Dai Vernon, la première fois
que quelqu'un exécutait la routine des anneaux chinois d'une
manière très artistique; le tour n'était plus
présenté comme un casse-tête. J'ai
également toujours aimé l'idée très forte
de Richard Himber, d'enclaver des bagues. La combinaison de ces 2
idées me semblait être une bonne chose à faire.
Pour en revenir à votre question, je pense que du close-up
exécuté sur scène est un très bon moyen
d'expression. Les choses impossibles que vous pouvez faire pour une
personne sont rendus accessibles à toutes les personnes du
public grâce à la vidéo. Et dans chaque forme
d'art, il y a un besoin d'adresse pure. Sur la chaîne musicale
MTV, vous avez de grosses productions avec des effets spectaculaires.
Mais le show le plus populaire est "Unplugged", où les
musiciens jouent en direct sans aucun matériel
électrique, mais juste avec des instruments acoustiques. Le
close-up est la réponse à ça.
Quelle sorte de magie est selon vous la plus
efficace?
C'est la plus simple à suivre pour le public. Les tours dont
l'effet est compliqué m'amène que la confusion. La
chose la plus difficile, c'est d'avoir l'idée la plus simple.
Je suis continuellement à la recherche de cela, je commence
toujours par quelque chose de compliqué que l'on essaye de
rendre petit à petit plus simple. Le public m'apprend tout le
temps que les choses les plus simples sont les meilleures. Ma
façon particulière de travailler lorsque je crée
en magie est de considérer qu'il n'y a pas de mauvaises
idées. J'encourage tout le monde à me donner une
mauvaise idée, j'essaye les choses les plus embarrassantes et
stupides possibles. Une fois que vous aurez vu ce qui est pratique,
ce sera ensuite le public qui censurera petit à petit les
passages qui ne vont pas. Mais la leçon à retenir est
toujours la même.
Lors de vos tournées, quel a été le
meilleur public que vous ayez rencontré et
pourquoi?
Ce public! (applaudissements) Il y a toujours quelque chose
à apprendre de chaque public. Certains sont très
faciles, d'autres sont beaucoup plus difficiles à être
chaleureux avec vous. Il suffit d'une personne qui fasse la
tête au cours du spectacle pour que j'en perde le sommeil.
J'essaie alors d'imaginer un moyen de la séduire. Mon
deuxième passage en France a été 100 fois
meilleur que le premier car j'y ai beaucoup réfléchi et
j'ai compris qu'il y a un rythme particulier et un respect qu'il faut
avoir pour le public. Les gens sont alors devenus plus
relaxées. Certains publics, comme les Allemands, sont
très faciles.
Vous avez depuis toujours présenté des grandes
illusions dans vos spectacles télévisés. Comment
avez vous pu concilié ce genre avec le coté intimiste
du petit écran?
Faire de la magie à la télévision est une chose
très difficile. C'est un combat que je mène à
chaque fois pour que ça fonctionne. On essaye tout, parfois on
réussit et d'autres fois non. Prenez la disparition de la
statue de la Liberté à la télé. Que
ça marche dans cette petite boîte et que ce soit
convaincant est très très dur. Nous avons essayé
de faire de longs plans séquence, nous avons cherché
à placer la caméra dans des endroits où les
téléspectateurs aimeraient aller sans pouvoir s'y
rendre, la lumière doit être meilleure que pour un
spectacle sur scène. Et à cause des erreurs que vous
faîtes au début, vous apprenez à mieux mettre en
scène, à mieux régler les éclairages et
bien d'autres choses. Mais la seule règle importante, c'est
que les téléspectateurs aient l'impression d'avoir
été traités de manière "honnête",
à la fois dans les choses qu'ils voient et psychologiquement.
Il faut trouver un juste équilibre pour que les choses soient
à la fois spectaculaires, nouvelles et différentes mais
aient l'air, aussi, honnêtes.
Vos spectacles télévisés depuis quelques
années comporte toujours un tour interactif demandant la
participation du téléspectateur. Comment avez vous
été amené à prendre cette voie et pensez
vous continuer?
C'est une partie de mon spectacle qui a beaucoup de succès.
C'est très frustrant car on dépense beaucoup d'argent
pour monter des illusions spectaculaires et la chose dont les gens
parlent le plus est un tour mathématique. Mais il faut quand
même vous dire que j'ai passé des mois dessus. J'ai
été dans des écoles avec ma cassette
vidéo pour voir si c'était compréhensible par
des enfants, j'ai changé le script mot par mot afin
d'être sûr qu'il sera compris et suivi par tous.
Comment créez vous vos illusions?
Tout d'abord, j'ai besoin de trouver quelque chose qui me touche
vraiment. Par exemple, il y avait un thème que je n'avais pas
abordé: les fantômes. J'ai un musée, dont vous
avez peut-être entendu parlé, qui contient des tonnes
d'affiches avec des fantômes et des esprits. C'est un
thème de la magie que tout le monde a abordé sauf moi.
J'ai donc commencé à étudier tout ce qui avait
été fait avant sur les fantômes, tout ce qui
existait sur le sujet: les films, les effets spéciaux, les
livres, les vidéos, toutes les routines de cabine spirite, ...
Il y avait quelque chose qui n'avait pas de sens pour moi. Pourquoi
les esprits venaient ils de cette cabine spirite ou de cette
boîte étrange? Où est la logique? J'en suis donc
arrivé à l'idée de cette légende d'une
maison qui avait brûlée. C'est les restes de cette
maison qui constituait la cabine spirite. La maison Barclay n'a
jamais existé. J'ai recherché des photos et des dessins
de maisons qui pouvaient convenir. Nous avons é abli une
liste de tous les effets spirites auxquels on pensait. Au cours de la
dernière tournée, nous avons construit
différentes maquettes en bois (David Copperfield nous
montre des dessins et schémas de ces maquettes de la maison
hantée). Petit à petit, nous sommes arrivés
au résultat final de cette nouvelle illusion dont je suis
très fier.
Quelle est votre opinion sur les débinages de tours
dans la presse ou à la télévision?
Débiner un tour est un moyen facile de se faire de la
publicité. Mon expérience m'a montré que les
gens n'y font pas attention. Je n'aime pas ça, je n'aime pas
que ma lévitation soit expliquée dans le Times
Magazine. Malgré cela, j'ai présentait cette
lévitation sur jet d'eau 2 semaines plus tard sur scène
et personne n'a réagit. Les gens le lisent puis l'oublient.
Bien sûr il faut combattre ça, mais ça ne signera
pas l'arrêt de mort de la magie. Les règles tacites
consistant à respecter les secrets des magiciens est toujours
la meilleure attitude pour nous mais aussi pour le public. Il y a
toujours eu des idiots qui veulent bien baisser leur pantalon. Si
vous regardez dans l'histoire de la magie, vous trouverez des
exemples de tours dévoilés, même du temps de
Robert Houdin. Il n'y a rien de neuf! On peut également
prendre ça de manière positive et y trouver la
motivation pour aller plus loin.
Quel est votre magicien favori?
Le meilleur magicien que j'ai jamais vu était Richiardi.
C'était un très bon acteur dramatique; il n'a pas
créé beaucoup de tours de magie mais sa performance sur
scène était magnifique. Je n'ai pas rencontré
dans ma vie quelqu'un qui était à la fois très
créatif et grand performer. Mais ça n'enlève
rien du respect que l'on peut avoir pour les uns ou les autres. Mes
idoles étaient Orson Wells qui était un grand artiste
sur scène et un grand créateur dans son travail, Gene
Kelly et Fred Astaire magnifiques sur scène et
également créateurs - ils commençaient à
partir d'une page blanche -, Walt Disney, ... C'étaient les
"héros" de mon époque. Je rêve de revenir dans le
temps et de voir Robert Houdin, qui était à la fois un
grand créateur et un grand artiste sur scène. J'aurai
aimer voir ça.
Certains de vos tours nécessitent l'emploi de
compères. Cela ne vous pose-t-il pas de problèmes vis
à vis de votre public de fans qui revient voir plusieurs fois
votre spectacle?
Des compères! je n'emploie pas de compères!
(rires) Je pense que ça vaut le coup d'avoir une
salle de 1000 compères pour tromper juste une personne. Je
n'irai cependant pas aussi loin mais je pense que l'effet est
l'essentiel, la méthode est bien moins importante. Si vous
choisissez d'utiliser des compères, vous avez sous votre
contrôle tous les éléments pour être
sûr d'obtenir à chaque fois le même effet. Dans le
cinéma, on parle d'accidents heureux pour qualifier les
moments où se produit quelque chose d'inattendu mais tellement
formidable que la prise est gardée. Il y a 8 ans à
Cleveland alors que j'étais sur scène, coupé en
deux dans le tour de la Scie de la Mort , quelqu'un, au fond de la
salle, a crié: "Bouge tes pieds". J'ai alors dit que j'allais
essayer et j'ai fait bougé mes pieds. Le public est devenu
fou. Depuis ce moment, à chaque représentation,
quelqu'un crie du fond de la salle : "Bouge tes pieds"...
Quels sont pour vous les principaux défaut des
magiciens?
Je pense que l'on accepte trop rapidement le "non" comme
réponse. Les magiciens se satisfont souvent de peu.
L'engagement à créer une nouvelle magie, à faire
progresser cette forme d'art, consistue la chance de la magie pour
devenir meilleure. A chaque congrès de magie, vous voyez le
plus souvent les mêmes chose, encore et encore. Si vous allez
à un congrès de music-hall, vous verrrez que les gens
ont de nouvelles chansons.
Comment concevez vous une illusion comme "Flying"? Quelles
sont vos sources d'inspiration? Quel a été le
rôle de votre équipe? Quels en ont été les
différentes étapes? Est-elle
protégeable?
"Flying" a été conçu parce que voler a toujours
été mon rêve. J'ai donc utilisé un peu de
technologie, et avec mon équipe on l'a réinvitée
puis testée. Nous sommes arrivés aux moyens de prouver
que rien ne m'était attaché, la boîte de
plexiglass était mon invention. Ce qui fait l'illusion, c'est
de prouver que je ne suis attaché à rien. Beaucoup
d'essais en l'air, des années à louer des
théatres pour la mise au point, apprendre à atterir,
à visualiser l'atterissage sans tomber. Pendant mes vacances,
j'allais à la piscine pour chercher des positions dans l'eau
qui étaient filmées par une caméra. J'ai
impliqué beaucoup de mes émotions dans la
création de cette illusion.
Avez vous réfléchi à un système
permettant la protection juridique d'un numéro, comme par
exemple la SACEM pour la musique?
J'ai eu des batailles juridiques. J'ai eu quelques succès,
parfois les dépenses engagées dans ces batailles ne les
justifiaient pas. Il n'y a malheuresement pas de moyen facile pour
protéger la magie.
Qu'est ce qui vous énerve le plus ou au contraire vous
amuse le plus dans le monde magique?
Ce que j'aime le plus, c'est cette sorte de camaraderie. Quand je
n'étais alors qu'un enfant, les gens qui me conduisaient d'un
endroit à un autre étaient les meilleurs magiciens de
l'époque. Je ne sais pas pourquoi c'est comme ça dans
le monde de la magie mais les gens vous ouvrent la porte de leur
maison, même vous leur êtes étranger. Ce que
j'aime le moins, c'est le plagiat qui existe en fait dans toutes les
formes d'art. Si vous regardez les gens qui copient, vous vous
apercevez qu'avec le temps et l'énergie qu'ils consacrent
à copier, ils ont le potentiel pour inventer quelque chose.
Mais le fait d'être copier me motive encore plus pour inventer
de nouvelles choses.
Quels sont vos projets?
Je travaille actuellement une illusion avec un laser qui coupe
quelqu'un en 2. Je dois le mettre au point rapidement avant que Yves
Barta ne me le copie (rires). Je travaille également
sur une illusion mettant en scène un ouragan à
l'intérieur du théâtre.
Vous avez monté un musée à Las Vegas.
Sera -t il un jour ouvert au public?
Vous êtes tous les bienvenus à mon musée pour peu
que je sois en ville à Las Vegas. Ce n'est pas une fausse
invitation, c'est une vraie promesse. Le musée est ouvert aux
magiciens et à la presse. C'est un endroit étonnant
pour le respect de la magie en Amérique, comme ici pour la
France. C'est important culturellement. Dès que le public sera
plus concerné, je prendrais des parties de ce musée et
je ferais des expositions à New York, Chicago, comme vous
l'avez fait au Musée d'Orsay. La magie sera mise à
coté d'autres formes d'art.
Pourriez vous nous formuler quelques conseils tirés de
votre expérience? Comment voyez vous l'évolution de la
magie dans les 10 ans à venir?
Je fais 500 spectacles par an. Chaque show est filmé et
analysé afin d'en retirer l'expérience. Ainsi, chaque
erreur ou impondérable est disséqué. Quand je
suis sur scène et que je ne dois rien dire au public, mon
micro est coupé pour le public mais pas pour mes 2 assistants
qui sont en coulisses. Je leur dit en direct toutes mes impressions,
les choses qui ne vont pas ou les idées qui me viennent sur le
moment et ils en prennent note. La magie devrait se
développer, voire exploser dans les 10 ans à venir, je
n'ai mis que le pied dans la porte qui mène à cette
voie.